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Nouvelle Monnaie : l’Uemoa, un avenir arrimé à l’éco

«La France est ouverte à des réformes très ambitieuses sur le franc Cfa». La phrase du ministre français des Finances, Bruno Le Maire, prononcée, vendredi dernier, en marge de la réunion de la zone franc, à Paris, a créé une certaine agitation en Afrique francophone. Il y a quelques années, ce genre de déclaration ne suscitait guère beaucoup de commentaires – pour Paris, la parade a toujours consisté à renvoyer la balle aux dirigeants africains -, mais, dans le contexte actuel, la déclaration du ministre français a son pesant d’or, laissant penser que, cette fois-ci, les choses vont bouger. Et si l’avenir du franc Cfa – du moins dans ses fondements – se jouait plus à Abuja qu’à Paris ? Éléments de réponse.


Nouvelle Monnaie : l’Uemoa, un avenir arrimé à l’éco
 

 

«La France est ouverte à des réformes très ambitieuses sur le franc Cfa». La phrase du ministre français des Finances, Bruno Le Maire, prononcée, vendredi dernier, en marge de la réunion de la zone franc, à Paris, a créé une certaine agitation en Afrique francophone. Il y a quelques années, ce genre de déclaration ne suscitait guère beaucoup de commentaires – pour Paris, la parade a toujours consisté à renvoyer la balle aux dirigeants africains -, mais, dans le contexte actuel, la déclaration du ministre français a son pesant d’or, laissant penser que, cette fois-ci, les choses vont bouger. Et si l’avenir du franc Cfa – du moins dans ses fondements – se jouait plus à Abuja qu’à Paris ? Éléments de réponse.

Il était déjà question de monnaie lors de la création de l’Union économique et monétaire ouest-africain (Uemoa) en 1994. Aujourd’hui, on est dans un autre contexte monétaire, la création de l’«éco», la nouvelle monnaie de la Cedeao, dont l’avenir de l’Uemoa dépend en partie. En 25 ans, l’équivalent d’une génération, l’Uemoa a fait de nombreux progrès, surtout que sa création a coïncidé avec la grande dévaluation du franc Cfa qui avait semé «le désarroi» dans nos Etats, et que grâce à l’Uemoa, progressivement, les économies de la région ont pu se reconstruire dans un cadre assez difficile.
Seulement, après 25 ans, on sent qu’on est arrivé à une étape où les choses semblent «se tasser».
«Il y a besoin d’un renouvèlement de la philosophie même du processus d’intégration et de l’espace que nous sommes en train de mettre en place», souligne le Pr N’galadjo Lamber Bamba, coordinateur du Projet d’appui à la gestion économique et financière (Pagef, Côte d’Ivoire) et ancien commissaire de la Cedeao en charge du pilotage de la création de l’Eco que nous avons rencontré à Ouagadougou, le 8 octobre.
Dans l’immédiat, c’est justement à l’aune de cette nouvelle monnaie qui devrait voir le jour courant 2020, qu’il faudrait considérer l’avenir de l’Uemoa, estime Alioune Sall, Directeur exécutif de l’Institut des futurs africains, think thank basé en Afrique du Sud. «C’est une décision qui ne peut pas ne pas avoir d’impact sur l’Uemoa», dit-il. «Nous devons avoir cette question en ligne de fond dans les réflexions qui sont menées actuellement ; d’autant plus que la création de cette nouvelle monnaie – l’Eco – soulève un certain nombre d’interrogations», appuie le Pr Bamba.

Nigeria, un leader qui ne rassure pas
Actuellement, il y a, d’un côté, le bloc Uemoa qui a déjà la pratique d’une monnaie perçue comme ayant «des relents coloniaux», mais qui a permis aux Etats d’avoir «une certaine discipline» dans la gestion commune de cette monnaie. De l’autre, des partenaires qui vont s’ajouter à ce bloc et qui étaient, jusque-là, dans d’autres pratiques avec des monnaies totalement indépendantes, autonomes. «Ce qui fait que la jonction entre les deux blocs devra se faire au prix de renonciations des uns et des autres pour trouver un équilibre», note le Pr Bamba. Plus fondamentalement, il y a le rôle et la position centrale du Nigeria, «leader naturel de la région». «Aller avec le Nigeria suppose non seulement que les autres pays (notamment de l’Uemoa) puissent avoir une capacité de négociation très forte et, d’autres part, que le Nigeria lui-même puisse accepter de mettre de l’eau dans son vin pour que le processus puisse marcher». Autant dire qu’il reste du travail.
En effet, beaucoup de pays de la région regardent le Nigeria «comme le diable» et, malheureusement, Abuja «n’a pas souvent eu les réactions qui peuvent rassurer les autres». Une ambigüité qui rend «parfois dubitatif, parfois très optimiste», l’ancien commissaire de la Cedeao. Sur quoi sera arrimée cette nouvelle monnaie – l’éco – appelée à se substituer au FCfa ? Sur l’euro ou un panier de devises ? Quelle politique de change ? Autant de questions qui ne sont pas encore tranchées. «De la réponse que donneront les Etats africains à ces questions dépendra, en grande partie, l’avenir de l’Uemoa», souligne Alioune Sall. L’autre obstacle majeur qu’évoque Bamba, c’est que l’agenda politique et celui des techniciens, des experts «n’arrivent pas à coïncider» sur le processus de création de la monnaie. Car là où la zone euro a mis plusieurs années pour se constituer, il serait utopique de vouloir mettre en place une nouvelle zone monétaire – l’éco – au pas de charge. Ce qui pousse plusieurs spécialistes à s’interroger sur le réalisme du calendrier avancé par les chefs d’Etats de la Cedeao, car 2020, c’est juste… dans quelques mois.

L’éco, un FCfa élargi ?
Une chose est certaine, l’attitude du Nigeria compte autant, sinon plus que celle de Paris pour l’avenir du Cfa. À moins qu’il ne s’agisse que d’un changement de nom, au risque de laisser Abuja à la marge de cette nouvelle zone monétaire. En effet, dans la logique des dirigeants de l’Uemoa, l’Eco sera un franc Cfa élargit aux autres pays de la Cedeao.
Une attitude qui illustre le dilemme des dirigeants de l’Uemoa, soucieux de ne pas saborder les acquis du FCfa. Les huit pays de l’Umoa (Union monétaire ouest-africain), qui respectent déjà les critères de convergence – maîtrise des déficits, maîtrise de la dette, maîtrise de l’inflation – «seront prêts sans doute en 2020», expliquait Alassane Ouattara, le président ivoirien, le 9 juillet à Paris, à l’issue d’un entretien avec Emmanuel Macron.
Il semble donc acquis que cette future monnaie commune commencera dès l’an prochain avec les pays qui sont prêts, c’est-à-dire ceux qui respectent le mieux les critères de convergence.
Or, il se trouve que c’est la zone Cfa qui converge le mieux. Il est donc probable de voir le franc Cfa rebaptisé éco, si les chefs d’Etat le décident, dès 2020, en gardant les mêmes mécanismes actuels avec la France. Quant à l’intégration des autres pays de la Cedeao, notamment le Nigeria, à cette nouvelle zone monétaire, cela reste une autre affaire.

Jeudi 17 Octobre 2019
La Rédaction / Samboudiang Sakho